Au delà du bilan tant politique, économique que social peu reluisant des équipes gouvernementales qui se sont succédées depuis l’indépendance, la dernière décade particulièrement, a été marquée par une économie plus que jamais tributaire du cours des hydrocarbures, une misère qui affiche son désespoir, un état sécuritaire peu rassurant et un recul significatif des modestes acquis démocratiques, une université en lambeaux, un état sanitaire des plus précaire, malgré une conjoncture internationale relativement favorable et de confortables indices macro-économiques.
L’Algérie donne l’image d’une grande œuvre inachevée depuis plus de 45 ans, résultat d’une gabegie sans commune mesure!A cela se rajoute l’instrumentalisation de toute la société civile et ses vecteurs d’expressions par un pouvoir dont la seule préoccupation semble être le souci de pérenniser le système qui l’a engendré. Ceci étant facilité par des moyens financiers colossaux mis au service d’une corruption généralisée n’épargnant aucun segment d’une société guettée par une déstructurante anomie porteuse de tous les dangers.
Il revient à toutes les hommes et les femmes de ce pays, pour peu qu’ils soient attentifs à ce qui se passe autour d’eux, de s’impliquer dans le combat citoyen contre toute forme d’oppression et des dérives du mode de gouvernance de notre pays.Le rôle des intellectuels, devrait être prééminent quelque soit la configuration du système dans lequel ils évoluent. Leur responsabilité vis-à-vis du peuple et des valeurs dont ils se revendiquent ne peut se résoudre au confortable rôle d’observateur parfois critique certes, mais souvent cantonné dans des espaces clos et donc sans aucun impact ni contribution au débat démocratique.
Plus préoccupant, certains, une minorité certes, ne ratent pas une occasion pour marquer leur présence sur des plateaux et autres organes de presse et nous rappeler qu’ils existent allant… jusqu’à offrir leur disponibilité à d’éventuels tuteurs bien placés dans l’échiquier du gotha politique du moment.Les responsables associatifs indépendants et partis politiques démocratiques constituent souvent leurs cibles de choix … obnubilés par la tentation de la compromission à bas prix et politiquement rentable qui leur fait dire : « il n’y a pas d’opposition dans ce pays…tous les journalistes sont les mêmes …toutes les associations sont infiltrées... tous les syndicats sont manipulés…maken chaab , adha ghachi… etc ; alors, je propose… ».
Disant cela ces intellectuels d’appareils espèrent prendre ainsi la tête d’un mouvement, leur mouvement et… faire diversion ou dévoyer de légitimes revendications, joignant leur démarche aux traditionnels laudateurs d’un régime honnis par le peuple.Pour autant, le contrôle et le verrouillage de tous les espaces serait-il rédhibitoire au point d’annihiler toutes formes de résistance, de construction, de débat ? L’histoire de l’humanité et des civilisations est assez pédagogique et éloquente à cet égard. Les hommes ont de tout temps eu assez de courage et de génie pour remettre en question des situations qui semblaient pourtant immuables, car « la liberté a toujours mit beaucoup de vaillance dans le cœur de ceux qui la défendent ».
Il me parait plus que douteux de résumer ces manifestations aux seules augmentations des prix de produits de première nécessité, alors que le malaise quasi-systémique est déclaré et connu de tous. Ce facile, paresseux ou suspect raccourci porte en lui-même le mépris à l’égard d’une jeunesse que la souffrance pousse au désespoir. L’histoire nous somme au devoir de vérité. Il est effectivement urgent d’analyser le mode d’expression d’une jeunesse aux perspectives obstruées et proposer un projet socio-éducatif, et économique en adéquation avec les potentialités dont dispose le pays et ouvert sur son temps et son environnement, donc forcement politique.Un pays, où l’état d’urgence est maintenu en vigueur depuis vingt ans empêchant ainsi toute expression démocratique ou contestataire en permettant, parallèlement, à toutes les associations satellites du pouvoir d’activer grâce à de généreuses attributions, devrait s’attendre à des manifestations sous leurs formes primaires. L’acculturation et l’évidement intellectuel de toute la société est la conséquence d’une gestion post-indépendance des plus hasardeuse à l’origine d’une rupture entre l’Etat et la Nation .
« Le jeune algérien, comme beaucoup de citoyens, souffre de la cherté de la vie mais il souffre aussi de hogra, de privations de libertés d’expression et d’association et demande à être reconnu et respecté dans ses droits et devoirs ». Il revendique sa place dans la société, dans les institutions comme dans une place publique librement organisée comme espace d’expression multiple.La réponse à la colère de la rue par les seuls outils financiers sans une politique économique adéquate et par un discours relevant du pathos et de la démagogie plutôt que de projet de développement et de réelle ouverture démocratique ne serait que manœuvre dilatoire porteuse de dangereuses incertitudes.
O.Tibourtine