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Sans s’attaquer à la sphère informelle, l’obligation du chèque risque d’être un échec renouvelé

02-07-2015 08:13  Contribution

Le Ministre des finances se propose de mettre fin à la masse monétaire qui circule dans la sphère informelle, sans analyser l’essence de cette sphère qui relève des dysfonctionnements des appareils de l’Etat et de la méfiance Etat-citoyens.

Travaillant depuis plus de 15 années sur ce sujet très complexe (voir www.google.com), il  s’agit de n’être ni pour, ni contre pour des raisons subjectives mais d’analyser la réalité sociale afin d’‘éviter, comme une  greffe d’un cœur sur un être humain, son rejet. Il s'agit de s’attaquer à la racine de ce mal qui ronge le corps social et des conséquences  de la baisse du cours  des hydrocarbures  (45/%par rapport à 2013/juin 2014 ), où  l’Algérie a puisé dans ses réserves de change  32 milliards de dollars entre juin 2014 et fin mars 2015, qui s’établissent fin mars 2015 à environ 160 milliards de dollars.

1- Cela s’explique par la cadence des importations de biens et services, la chute du cours du pétrole et également de la dévalorisation monétaire d’une partie  des placements effectués en euros du fait de sa dépréciation par rapport au dollar. Au rythme de la dépense publique actuelle, ces réserves risquent de s’épuiser à horizon 2020. Pour le fonds de régulation des recettesqui résulte de la différence entre le prix de vente moyen annuel des hydrocarbures et le plancher de la loi de finances  de 37 dollars, le premier étant géré par la banque d’Algérie et le second par le trésor, c’est la reconversion  de la devise hydrocarbures en dinars algérien. De ce fait,  un dérapage du dinar  de 10 à 15% gonfle artificiellement le fonds de régulation des recettes de 10 à 15%. Il en est de même des importations en euros  reconvertis en dinars au niveau de la douane où les taxes douanières  se calculent  en référence au dinar

 A fin 2014, les avoirs du FRR s'étaient établis, après prélèvements, à 4.408,4 mds de DA contre 5.563,5 mds de DA à fin 2013, soit au cours de 95 dinars un dollar, 47 milliards de dollars, en signalant  que   loi de finances 2015 paradoxe,  a été établi sur la  base d’un cours de 79 dinars un dollar. La loi des Finances 2015 prévoit  un déficit budgétaire de 4.173,3 mds de dinars, au cours de 95 dinars un dollars  44 milliards de dollars. Or, le budget de fonctionnement et d’équipement réunit, selon la  banque mondiale, ne peut se réaliser que sur la base d’un cours de 115/120 dollars (37 dollars étant un artifice comptable). Ainsi si le cours moyen pour 2015 s’établit à 60/65 dollars au  rythme de la dépense actuelle, il  s’en suivrait l’épuisement du fonds de régulation des recettes courant 2016 et l’inévitable   dévaluation du dinar, un processus inflationniste et la fin des subventions généralisées - 60 milliards de dollars en 2014, soit 27/28% du PIB. 

2.-Dans ce cadre, les nouvelles mesures  permettront-elles d’atténuer les tensions budgétaires où  face  à cette situation,  le nouveau ministre des Finances  vient  de décider  d’intégrer la sphère informelle au sein  de la sphère réelle et une des mesures  serait  l'obligation à compter du 01 juillet 2015  de l'utilisation de chèques dans les transactions commerciales, cinq millions  de dinars pour l’achat de biens immobiliers  et un million de dinars pour  l’achat de yachts ou bateaux de complaisance, matérielle roulant neufs et d’équipements industriels neufs , de véhicules neufs  soumis à immatriculation auprès des concessionnaires  automobiles  ou autres distributeurs agréés. C’est une pratique   normale dans les économies développés et sans décret. Or, en Algérie cette  sphère hétérogène, contrôle des segments importants de l'économie,  utilise de la monnaie fiduciaire (billets de banques) au lieu de la monnaie scripturale (chèques) ou électronique faute de confiance. La sphère informelle  peut être définie  comme  la partie de l'économie qui n'est pas réglementée par des normes légales relevant de l’Etat, devant  différencier la sphère informelle productive qui crée de la valeur de la sphère marchande spéculative qui réalise un transfert de valeur. Le gouvernement ne peut empêcher cette pratique, ayant fait deux fois   marche arrière. La dernière mesure  a été d’exiger  un chèque pour un montant supérieur à 500.000 dinars,  mesure  qui  a été gelée en 2011 au  même titre que la mesure précédente  lorsqu'il avait été  instauré  l'exigence d'un chèque pour 50.000 dinars officialisée au Journal Officiel  par le Décret exécutif n° 05-442 du 14 novembre 2005. Qu’en sera t-il de cette nouvelle mesure ?  L'Office national des statistiques (ONS) a  mis en relief le 20 juillet 2010 relatif à une enquête du second semestre 2009 selon lequel la moitié de la population occupée n'était pas affiliée à la sécurité sociale soit un taux de 50,4% de l'ensemble des travailleurs occupés. Quelle sera également  l’impact de la mesure de ce mois de juin 2015 du Ministère du travail avec des sanctions pénales et financières  sans une véritable relance économique ?

3- En fait, pour une analyse objective et opérationnelle, on ne peut isoler l'analyse de la sphère informelle du mode de régulation mis en place c'est-à-dire des institutions. L'extension de la sphère informelle est proportionnelle au poids de la bureaucratie qui tend à fonctionner non pour l'économie et le citoyen mais en s'autonomisant en tant que pouvoir bureaucratique. C'est faute d'une compréhension l'insérant dans le cadre de la dynamique sociale et historique que certains reposent leurs actions sur des mesures seulement pénales, la taxent de tous les maux, paradoxalement par ceux mêmes qui permettent son extension en freinant les réformes.  On ne résout pas les problèmes par des textes juridiques mais en  analysant le fonctionnement réel de la société et en l’adaptant aux nouvelles mutations tant locales qu’internationales. Sans une vision stratégique d'ensemble de sortie  de la crise multidimensionnelle supposant une profonde mutation systémique embrassant le politique, l'économique et le social solidaires, la sphère informelle ne peut que s’étendre et toutes les mesures ponctuelles s'assimileront à du replâtrage, cette   sphère informelle en Algérie étant  favorisée par l'instabilité juridique et le manque de visibilité de la politique socio-économique, une économie de marché concurrentielle maîtrisée , loin de tout monopole, maîtrisée étant liée à l’Etat de Droit et à une bonne gouvernance.

4- Le Ministère des finances a d’autres chantiers prioritaires, devant différencier l’essentiel et l’accessoire, doit d’abord résoudre d’autres problèmes fondamentaux  au nombre de quatre, poumon des réformes à venir mais déplaçant d’importants segments de pouvoir.

Premièrement, la refonte bancaire où les banques publiques concentrant plus de 85% des crédits octroyés, malgré les nombreuses compétences mais étant soumises aux injonctions politiques,  actuellement se cantonnent en guichets administratifs, favorisant les pratiques occultes.

Deuxième chantier, une profonde réforme des domaines non informatisé  notamment par la délivrance les titres de propriété  dont l’inexistence  occasionnent  des pertes au trésor des dizaines de milliards de dinars, rendant presque impossible  la distribution de logements sociaux dans la transparence.

Troisième chantier la refonte  du système fiscal également  peu informatisé  le signe d'une plus grande citoyenneté étant le paiement de l’impôt direct supporté actuellement par  les revenus salariaux.

Quatrième chantier  une profonde réforme des douanes devant instaurer des réseaux décentralisés, douanes-banques-fiscalité.

Ce ne sont qu' à ces conditions que cette mesure aura une portée réelle. Les mesures autoritaires bureaucratiques produisent l'effet inverse. Lorsqu'un Ministre  agit administrativement , loin des mécanismes transparents et de la concertation sociale, la société enfante ses propres règles pour fonctionner qui ont valeur de droit puisque reposant sur un contrat entre les citoyens, s'éloignant ainsi des mesures ne collant avec la réalité sociale et donc  sans s’attaquer à l’essence par la mise en place de nouveaux mécanismes de régulation, malgré de bonnes intentions,  les mesures conjoncturelles ont des effets pervers.

La lutte contre la sphère informelle ne relève  pas fondamentalement de solutions techniques mais d’une décision politique. Comme j’ai eu à l’affirmer dans plusieurs contributions (www.google.com) l’intégration de la sphère informelle au sein de la sphère réelle ne peut relever d’un seul département ministériel devant impliquer la présidence, chefferie du gouvernement, les services de sécurité,  et tous les départements ministériels dont les finances, la justice, l’intérieur etc.) et ce avec la participation de la société civile. Le gouvernement  algérien besoin d’actions coordonnées tant à l’amont qu’à l’aval des différents départements ministériels devant dépasser l’ancienne  vision bureaucratique et matérielle soviétique des années 1970. L’information au temps réel devient stratégique, un mauvais calcul pouvant occasionner des pertes en milliards de dollars. Car  comment exiger les chèques sans s'attaquer à l'essence  de la sphère informelle qui renvoie à des considérations  politiques et économiques, enjeux de pouvoir ce qui passe forcément par le rétablissement de la confiance Etat-citoyens. Pour le cas du carburant il s’agit  de s’attaquer aux subventions en  les ciblant  par une  rationalisation et non pas le  rationnement qui est une action utopique, étant coûteux de  ficher au niveau de toutes les  stations  plus de 8 millions d’utilisateurs. Il  devient donc urgent  si l’on veut éviter le scénario dramatique  des impacts de la baisse du cours des hydrocarbures des années  1986,   d’avoir  une vision stratégique qui passe par une  coordination étroite entre différents départements ministériels grâce à un dialogue économique et social tenant compte de la réalité de la société  composée de nouvelles forces sociales, relais efficaces entre l’Etat le citoyen  et une planification stratégique à ne pas  confondre avec les anciennes  méthodes du bloc communiste, les plus grands planificateurs étant actuellement les firmes multinationales.

Par le professeur Abderrahmane MEBTOUL Expert international

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