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L'attentat de Paris face aux tensions géostratégiques : le terrorisme une menace planétaire

16-11-2015 15:09  Pr Abderrahmane Mebtoul

Après trois attentats en une semaine, l'avion abattu au niveau du Sinaï, en Turquie, puis au Liban, l’Etat Islamique (EI) a revendiqué l’attentat de Paris. Le terrible drame qui affecte toute la France nous touche également, l’Algérie ayant vécu pendant une décennie noire, ce terrible drame face au terrorisme qui est une menace planétaire. A cette occasion, j’exprime toute ma sincère compassion et me recueille à la mémoire des victimes et souhaite un prompt rétablissement au blessés. Mais attention à tout amalgame car l’Islam autant que toutes les régions monothéistes, le judaïsme et le christianisme, est une religion de tolérance et de paix. Il s’agit de replacer ce lâche attentat dans le cadre des tensions géostratégiques au Moyen Orient et dans la région sahélo-saharienne qui risquent de déstabiliser tant l’Europe que le reste du monde. Cela nécessite des stratégies d’adaptation qui interpellent tant l’Algérie et plus globalement le Maghreb, les USA et l’Europe, d’une large coopération internationale

1.- Du point de vue géographique et politique, le Maghreb sous segment du continent Afrique comme nous le notons notamment dans deux ouvrages que j’ai coordonnés avec mon ami Camille Sari, sur le Maghreb face aux enjeux géostratégiques (Edition Maarifa mars 2014 Algérie et édition Harmattan Paris juillet 2014) était et reste toujours une sorte de barrière sur la voie des réfugiés illégaux des pays d’Afrique subsaharienne en Europe. Bien avant et surtout depuis la chute du régime de Kadhafi, le Sahel est l'un de ces espaces échappant à toute autorité centrale, où se sont installés groupes armés et contrebandiers. Kadhafi disparu, ce pays n’ayant jamais eu d’Etat au sens proprement dit, des centaines de milliers, dont 15 000 missiles sol-air étaient dans les entrepôts de l'armée libyenne, puis ont équipé les rebelles au fur et à mesure de leur avancée dont une partie a été accaparée par de différents groupes qui opèrent au Sahel. Pour Eric Denécé, Directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, est clair sur l'origine de la situation présente: «il faut dire et répéter que le facteur déclenchant tout cela est l'intervention occidentale en Libye ». Il est rejoint récemment par le directeur du FBI, James Comey qui a affirmé le 14 novembre 2013 devant le Congrès «qu’Al Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi) constituait une forte menace aux intérêts américains et occidentaux dans la région de l’Afrique du nord et du Sahel».

Il a cité l’opération terroriste perpétrée contre l’installation pétrolière de Tiguentourine en Algérie (Illizi) ainsi que celles commises contre le consulat américain à Benghazi et la mine d’uranium exploitée par une société française à Arlit (Niger). Pour le directeur du Centre américain du contre-terrorisme, Matthew Olsen, dont les services dépendent du Directeur du renseignement national des Etats-Unis (DNI), devant la commission sénatoriale que si l’intervention militaire conduite par la France au Mali a permis de chasser Aqmi et ses alliés des villes qu’ils contrôlaient auparavant, ces groupes arrivent, cependant, à trouver refuge dans les zones les moins peuplées du nord du Mali et continuent à commettre des attaques de représailles. La plupart des dirigeants du Maghreb de l’Afrique de l’Europe et des Etats Unis d’Amérique s’accordent dorénavant sur la nécessité de coopérer davantage face à la menace de l’insécurité et du crime organisé, insistant sur une coopération étroite des pays du Maghreb et du Sahel , thème qui a été développé lors d’une rencontre internationale des experts le 04 décembre 2013 à Paris, en marge du sommet des chefs d’Etat concernant ce sujet, les 06/07 décembre 2013 à laquelle j’ai participé. La résolution finale a mis l’accent sur l’obligation de mettre en application une stratégie interrégionale qui associe l’ensemble des pays de la zone en plus des partenaires européens –américains du fait que la région est devenue un espace ouvert pour divers mouvements terroristes et autres groupes qui prospèrent via le trafic d'armes ou la drogue, menaçant la sécurité régionale et par ricochet l’Europe et les USA, pour qui l’Algérie est un acteur incontournable.

D’où l’importance d’une coopération tant africaine que mondiale dans la lutte contre la criminalité transnationale nécessitant une amélioration des bases de données afin de lutter efficacement contre le crime transfrontalier et le terrorisme. Les Etats-Unis considèrent ce dialogue stratégique comme « le fondement » sur lequel les Etats-Unis et les pays du Maghreb dont l’Algérie doivent jouer un rôle essentiel afin de renforcer leurs relations futures dans les domaines politique, économique, culturel, scientifique et sécuritaire, notamment de lutter contre le terrorisme international. Il s’agit donc de lever les contraintes du fait que la corruptibilité générale des institutions, pèsent lourdement sur les systèmes chargés de l'application des lois et la justice pénale en général qui ont des difficultés à s’adapter aux nouveaux défis posés par la sophistication des réseaux du crime organisé. La collaboration inter-juridictionnelle est ralentie par l’hétérogénéité des systèmes juridiques notamment en Afrique du Nord et en Afrique noire. De plus, la porosité des frontières aussi bien que la coordination entre un grand nombre d’agences chargées de la sécurité aux frontières posent de grands problèmes. À terme, la stratégie doit viser à attirer graduellement les utilisateurs du système informel vers le réseau formel et ainsi isoler les éléments criminels pour mieux les cibler tout en diminuant les dommages collatéraux pour les utilisateurs légitimes.

2.-.C’est que l’Algérie a vécu un drame pendant une décennie avec la menace terroriste. Dans ce cadre, l’Algérie qui partage des frontières terrestres avec ses 7 pays voisins : la Libye, le Mali, la Mauritanie, le Maroc, le Niger, la Tunisie et le Sahara occidental pour un total de 6 343 km a déployé une véritable task-force pour sécuriser ses frontières pour faire face à l’instabilité chronique de l’autre côté des frontières et dont les événements récents confirment la continuelle aggravation et lui ont imposé des dépenses supplémentaires. A terme, avec la chute du cours des hydrocarbures, l’Algérie ne pourra supporter à elle seule toutes ces dépenses militaires, quitte à sacrifier son développement, devant aller impérativement vers une minimisation des coûts afin d ‘optimaliser l’effet dépense. Il existe un théorème en sciences politiques : 80% d’actions désordonnées que l’on voile souvent par de l’activisme source de surcoût ont un impact de 20% et 20% d’actions bien ciblées ont un impact sur 80%. L’analyse du professeur en stratégie à Harvard Michael Porter des « cinq forces », qui déterminent la structure concurrentielle d’une industrie de biens ou de services est source d’enseignement. Il distingue le pouvoir de négociation des clients, le pouvoir de négociation des fournisseurs, la menace des produits ou services de substitution, la menace d’entrants potentiels sur le marché et l’intensité de la rivalité entre les concurrents.

Or en Algérie les différents acteurs ont un faible pouvoir de négociation du fournisseur et un fort pouvoir de négociation du client, alors que les barrières d’entrées sur le marché algérien tant des entreprises économiques que de l’armement sont élevées, pouvant occasionner des surcoûts et surtout des litiges internationaux du fait de la non maîtrise du droit des affaires. Devant distinguer stratégie et tactiques pour paraphraser le langage militaire, ces actions doivent donc s’inscrivent dans le cadre d’une organisation institutionnelle future en réseaux pour plus d’efficience, permise grâce aux nouvelles technologies. Aussi, les dépenses sécuritaires nécessaires, doivent être ciblées, devant distinguer le court et le moyen terme, optimalisées en termes d’efficience s’insérant dans le cadre d’une loi de programmation militaire sur cinq ans (y compris pour la DGSN). Mais si la sécurité est indispensable au développement, l’objectif est de ne pas réduire l’affectation des ressources financières au secteurs inducteurs de développement ce qui engendrerait inéluctablement un faible taux de croissance, donc un accroissement du taux de chômage et donc des tensions sociales internes facteur d’insécurité, devant donc trouver un équilibre entre les problèmes de sécurité et le développement interne.

Dans ce cadre, l’industrie militaire à l’instar de ce qui se passe dans la majorité des pays développés peut contribuer au développement global. Des actions sont déjà lancées comme les projets de l’industrie mécanique lancés par l’Armée nationale populaire (ANP) en partenariat avec le géant allemand Daimler devant produire les premiers camions et bus Mercedes Benz de l’usine de Rouiba, le véhicule blindé “Nimr” pour le transport des troupes qui sera construit en Algérie, entre le Groupement pour la Promotion de l’Industrie Mécanique (GPIM) du ministère de la défense et le groupe Emirati Tawazun dont on devra veiller à un taux d’intégration minimum 40/50%, n’existant nulle part dans le monde un taux d’intégration de 100%. Ces actions connues sous le nom « complexe militaro-industriel » ont dynamisé par le passé de l’économie sud coréenne et dynamise actuellement les firmes aux USA et de nombreux pays développés ou émergents mais rentrant dans le cadre des normes de rentabilité commerciale. Aussi l’objectif est de réduire cette importante dépense et donc la facture d’importation grâce à des co-partenariats internes ou des co-localisations, une balance devises positive et un transfert technologique et managérial revoyant toujours à la ressource humaine, pilier de tout processus de développement. Bon nombre de PMI-PME facteur de valeur ajoutée et de création d’emplois peuvent être créés. Selon un responsable militaire s’exprimant en marge de la deuxième édition de l’exposition « Mémoire et Réalisations », organisée par le ministère de la Défense nationale (propos rapporté par l’agence officielle APS du 05 juillet 2013), l’industrie militaire algérienne pourrait, dans un avenir proche, se substituer à l’importation.

3.- Il y a lieu d’éviter des déclarations hâtives de verser dans la xénophobie qui alimente le discours des extrêmes, le racisme, car l’Islam autant que toutes les grandes régions monothéistes le judaïsme, le christianisme sont des religions qui prêchent la paix et la tolérance. Ce qui se passe actuellement ne saurait en aucune manière refléter les idéaux de l’Islam. Par ailleurs, la résolution de ce mal implique de s’attaquer à l’essence (un co-développement) et non aux apparences comme le montre une étude du Forum économique mondial – WEF- du 14 novembre 2013 qui révèle que fortement secoués depuis deux ans par des crises politiques à répétition, les pays d'Afrique et du Moyen Orient sont à l'aube d'une crise majeure et sont une source d'inquiétude, ces pays traversant une crise morale du fait du manque de valeurs au niveau du leadership. Le fossé entre les riches et les pauvres devient de plus en plus grand et tandis que l’écart de revenus renforce les inégalités en matière de richesse, l’éducation, la santé et la mobilité sociale sont toutes menacées.

L’étude met en garde contre les conséquences pernicieuses du chômage : «une génération qui commence sa carrière dans un désespoir complet sera plus enclin aux politiques populistes alors que l’ampleur de la récession mondiale et le rythme du rétablissement ont laissé des cicatrices profondes, spécialement parmi la jeunesse». Le rapport considère «qu’il y a maintenant un consensus croissant selon lequel la région (Mena, Proche-Orient et Afrique du Nord) est à l’orée d’une période d’incertitude croissance, aux racines ancrées dans la polarisation de la société ….la fracture la plus visible est celle entre ceux qui veulent qu’un Islam politique joue un rôle public et ceux qui veulent une séparation de la religion et du gouvernement». La laïcité que certains veulent assimiler faussement à «athée»- alors qu’il s’agit de la séparation de la religion et de la gestion de l’Etat - reste un sujet qui divise toujours au sein des sociétés arabes et nord-africaines, malgré les déconvenues politiques qu'ont connues les islamistes dans les pays ayant vécu ce que l’on peut être appelé improprement le «Printemps arabe».

En résumé, aujourd’hui, les menaces sur la sécurité ont pour nom terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, crises régionales et délitement de certains Etats. Les défis collectifs, anciens ou nouveaux sont également les ressources hydriques, la pauvreté, les épidémies, l’environnement, étant d’ordre local, régional et global. La résolution durable contre le terrorisme, menace planétaire, implique une refonte tant des relations internationales que de l’instauration d’un Etat de droit et de la démocratie tenant compte des anthropologies culturelles et l’atténuation de la misère qui nourrit le terrorisme. Face à un monde en perpétuel mouvement, tant en matière de politique étrangère, économique que de défense, actions liées, avec les derniers événements, se posent l’urgence des stratégies d’adaptation et d’une coordination, internationale et régionale afin d’agir efficacement sur les événements majeurs. Ces nouveaux défis pour la communauté internationale dépassent en importance et en ampleur les défis qu’elle a eu à relever jusqu’à présent.

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