On le savait malade, tout encroisant les doigts pour lui. Les dernières images diffusées par Berbère Télévision,n’étaient pas rassurantes. On le voyait amaigri, le teint mat, le verbe un peu laborieuxpour dire, dans un adieu prémonitoire, des mots du cœur et d’amitié àses milliers de fans inquiets pour sa santé.
Dans la nuit de samedi, la maladie a eu raisonde sa ténacité de vivre jusqu’au bout du temps. Idir est mort et « VavaInouva » désormais orpheline de songéniteur.
Parler d’Idir en quelquesmots pour lui rendre un ultime hommage, est un exercice difficile,une gageure, tant l’homme est immenseet singulier.
Au fil du temps et des horizons,il a forgé son personnage et sa légende comme les « Ihedadhen » des Ath Yenni, conjuguent l'argent et le corail pour ciseler leurs bijoux.
Tout a commencé au débutdes années soixante dix, avec l’emblématique « Vava Inouva », version locale du « PetitChaperon rouge » que le chanteur a eu le génie de dépoussiérer pour le hisser au diapason musical et luidonner une nouvelle jeunesse qui ne tardera pas à lui faire conquérir l’universalité.
Toute l’œuvre d’Idir, àtravers ses dizaines de compositions est une perpétuelle quête d’équilibre, demariage entre le patrimoine, écho de la mémoire ancestrale millénaire d’un des plusvieux peuple du monde, et l’universalité dans ce qu’elle a de modernité et d’ouverture.
Ce qui fait d’ Idir « unpasseur de mémoire » sans frontières et émérite qui a la religion du dialogue des cultures des hommes, des femmes tout en restant viscéralement ancré dans son humus. « L’universel commence par monvillage », disait Lénine.
L’œuvre artistique dudigne fils d’Ath Lahcène, avec toute la beauté poétique intrinsèque de ses textes et la modernité de ses orchestrations, ne selimite pas à la dimension esthétique d’un « art pour l’art »,pusillanime et décaféiné.
Non, ses fresques musicales portent aussi l’écho de l’Amazighité de l’Algérie que les pouvoirs successifs ont voulu et cherché (vainement) à amputer de l’équationidentitaire nationale, au nom d’un arabo-islamisme négateur, exclusif,discriminatoire.
Si aujourd’huiTamazight est inscrite dans le marbre de la Constitution, c’est aussi grâce àIdir qui croit à une Algérie forte et riche de sa pluralité, de sa diversité, qui sont les produits de saculture millénaire, résultante des siècles d’Histoire, avec un grand "H".
Artiste et poète dans l’âme,Idir ne s’interdit pas d’interroger de temps en temps la politique, mais toujours avec ce souci chevillé de garder sa distance critique, loin des chapelles partisanes.
Devenant pour le coup une sorte de statut de commandeur, une figure consensuelleenvers et contre les tentations diaboliques de l’extrême.
Idir, c’est un peu toutcela avec l'humilité et la dignité en prime, il vient de partir au moment où laKabylie et l’Algérie sont en besoin d’hommes de bonne volonté de sa trempe pourporter la voix du vivre ensemble dans la fraternité et la paix.
Il nous quitte pourrejoindre le panthéon des immortels, car Idir (Ydhir en kabyle) veut dire « vivre », A Dieu l’artiste !