La rediffusion dimanche 31 juillet sur Canal + d’une enquête (voir vidéo ci-contre) sur l’explosion du marché du halal et ses dérives a provoqué l’indignation dans la communauté musulmane. Huit élus municipaux d’origine musulmane réclament une enquête parlementaire.
Le marché du halal est en pleine expansion. Dans le monde, il avoisine les 150 milliards de dollars, tandis qu’en France il représente 5 à 6 milliards d’euros.
Une enquête publiée en novembre 2010 par le cabinet de conseil Insights Symphony IRI Group affirmait que le chiffre d'affaires des produits halal vendus en magasins a augmenté de 23 % sur les douze derniers mois à 140 millions d'euros pour un marché estimé à 5,5 milliards d'euros. Selon la revue mensuelle Capital, ce marché pèse 6 milliards d'euros et progresse de 10 % par an.
Forte croissance
La forte accélération de la croissance de ce marché amorcée en 2009 continue. Le nombre d’acheteurs se stabilise mais ils consomment des produits plus diversifiés, comme des saucisses de poulet ou encore du foie gras halal. La sociologue Florence Bergeaud-Blackler, chercheure associée à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam) à l’Université de Provence, explique notamment ce récent intérêt par un très fort attachement à la consommation halal chez les 18-25 ans, pour qui « l’alimentation est une pratique religieuse relativement aisée, qui constitue un signe extérieur d’islamité très valorisé dans la communauté ».
Le dynamique marché du halal n’a pas tardé à attirer la grande distribution qui s’est lancée depuis une dizaine d’années. Ainsi, en 2010, les grandes et moyennes surfaces ont réalisé 130,1 millions d'euros de chiffre d’affaires sur ces produits, soit 0,2 % du marché alimentaire, selon le cabinet Nielsen. Les commerces de quartier et les supérettes spécialisées continuent toutefois de concentrer l’essentiel des recettes.
Le rite musulman consiste à prononcer la phrase "au nom de dieu" au moment du sacrifice de l’animal. Plus facile à faire lorsqu’on gère un commerce de proximité avec un rapport direct au client, que lorsqu’on est à la tête d’un grand groupe et qu’il faut "industrialiser" la production. Ainsi, dans certaines usines, des "sacrificateurs" musulmans remplacent quelques heures par jours les ouvriers.
Mais certaines associations pointent du doigt le vide juridique dans ce domaine. "Le Halal en France n'a pas de réglementations, ni sur la production, ni sur la façon de faire, et donc n’importe quelle association peut être mise en place pour faire ce type de travail", précise Abdou Benmaamar, directeur de Halal Service. Dans le doute, des groupes, comme celui d'Edouard Leclerc, ont fait appel aux mosquées de Paris, Lyon ou Evry pour superviser le processus. D’autres ont préféré recruter en interne une personne pour mettre en place une gamme maison de produits Halal.
Les organismes certificateurs mis en cause
Les méthodes des organismes certificateurs sont au cœur d’une polémique. En janvier 2011, l’affaire des saucisses Herta certifiées halal mais dans lesquelles furent retrouvées des traces de porc avait gravement mis en cause le sérieux des acteurs du marché.
Parmi la cinquantaine d’organismes certificateurs qui existent, les plus importants sont les partenaires des Mosquées de Paris, d’Evry et de Lyon. Leur rôle : certifier les produits halal après contrôle du respect du rituel musulman. Mais d’après le reportage de Canal + Halal, les dessous du business , certains de ces organismes n’ont pas de contrôleurs et n’assurent aucune vérification avant d’accorder l’étiquette halal. Mis en cause dans l’enquête de Canal +, l’organisme partenaire de la Mosquée de Paris, la Société française de contrôle de viande halal ( SFCVH), refuse de répondre sur ce point.
D’après Fourat Alani, journaliste, co-réalisateur de l’enquête, la présence de contrôleurs de l’abattoir entraînerait une augmentation de 20 % des prix des produits à la production. C’est pourquoi certaines entreprises optent pour des organismes certificateurs « plus souples » qui leur coûtent moins cher.
« Tout le monde peut devenir organisme certificateur halal. Il n’y a aucune loi qui encadre l’utilisation du mot », explique Fourat Alani. « Dans certains cas c’est envoi d’estampille contre envoi de chèque, et ça ne va pas plus loin. C’est l’impunité totale », tempête l’animateur du blog Al-Kanz, Fateh Kimouche, interrogé par La Croix .
La majorité des organismes refusent de communiquer les montants des contrats qui s’établissent entre les entreprises et les organismes certificateurs. Seule l’organisme certificateur partenaire de la Grande mosquée de Lyon a indiqué avoir empoché un million d’euros provenant de la délivrance de son certificat à diverses entreprises.
Comment réglementer le marché du halal
Pour Fourat Alani, la réglementation du marché passerait par la définition d’une « norme halal unique ». Le Conseil français du culte musulman a déjà établi une charte ( lire des extraits) proposant une définition commune du halal, mais elle n’a pas encore été adoptée par tous.
Pour Florence Bergeaud-Blackler, il faut organiser une traçabilité du produit halal depuis la ferme jusqu’à la table. « Ce qui ne simplifie pas les choses, c’est qu’il n’y a pas de consensus sur une définition agroalimentaire du halal », décrypte-elle.
Lundi 1er août, huit élus municipaux d’origine musulmane ont demandé la mise en place une commission d’enquête parlementaire « pour faire toute la lumière sur le marché du halal dont certaines pratiques commerciales peuvent s’apparenter à de l’escroquerie publique, faute d’une législation claire et précise ».
Kamel Hamza, l'un des élus locaux issus de la Diversité, a déclaré, hier, qu'ils mènent une campagne en ce début de Ramadhan pour "briser l'Omerta" qui entoure le marché du halal en France.
"Il est grand temps que la certification halal soit labellisée au même titre que les produits bio pour lever la suspicion qui entoure les produits censés être permis destinés à la communauté musulmane", a indiqué Kamel Hamza, élu de l'organisme, en réaction à un reportage diffusé la veille du mois sacré sur une chaîne cryptée française révélant des "dysfonctionnements graves" dans la filière halal.
Pour l'élu, membre de l'Association nationale des élus locaux de la diversité (Aneld), l'Etat français "se doit de réguler ce marché florissant pour éviter que la communauté musulmane ne soit victime de supercheries, comme cela a été le cas récemment" avec un certain type de saucisses, "censées être halal, mais qui ne l'étaient pas en fait".
Actuellement, il n'existe pas en France une norme unique désignant le label halal, une mission dévolue au Conseil français du culte musulman (CFCM) à sa création en 2003. Pour l'heure, seules les mosquées de Paris, Lyon et Evry délivrent des cartes de sacrificateurs, mais ce sont ensuite une multitude d'organismes, qui effectuent des contrôles, notamment dans les abattoirs."Nous comptons bientôt saisir par courrier les 577 députés en France pour la mise sur pied d'une commission d'enquête parlementaire" sur le marché halal ajoute l'élu local.